Mythes, des mots et des images

Pendant que la vaillante Janyce présentait un florilège de merveilleux mythes du monde récoltés pendant notre voyage, j’ai survécu à mon premier mois en tant qu’animatrice d’ateliers de mythologie dans deux écoles parisiennes aux milieux sociaux très différents, l’une dans le 18e, l’autre dans le 16e arrondissement.

Si quelques rares élèves sont déjà des passionnés de mythologie, en général, j’ai dû attirer les sceptiques et les récalcitrants en leur présentant des histoires croustillantes, pleines d’aventures, de sang, da pathos, comme celle de la Méduse et Persée (« Non, les enfants, ce n’est pas Percy Jackson… »), de Prométhée Enchaîné, d’Ulysse et Polyphème ou encore du rapt de Proserpine, du Minotaure ou du Sphinx, avec en prime une charmante croisière dans les Enfers avec Charon.  Des magnifiques tableaux des Préraphaélites et de Caravaggio ou Rubens, Bouguereau et tant d’autres artistes géniaux illustrent si bien les histoires et passionnent les enfants à tel point qu’ils vont bientôt connaître le Louvre comme leurs poches.

Rien de tel qu’un aigle vous dévorant le foie pour aiguiller la curiosité

Accepting candies from strangers can be very dangerous

Accepting candies from strangers can be very dangerous…

La boîte piégée de Pandore

Pandore était bien curieuse de connaître la surprise cachée dans son Happy Meal…

Can't get you out of my head, Medusa

Can’t get you out of my head, Medusa

Souvent, la nudité des dieux et héros grecs a choqué mes jeunes et candides disciples et nous avons eu des débats passionnés sur la beauté, la bêtise de Midas ou l’apparente stupidité de Zeus (le roi des Dieux ne craint rien, pas même le ridicule). Parfois, aussi, nous avons comparé des mythes égyptiens, grecs et chrétiens (Zeus est souvent confondu avec Jésus Christ, tandis que Héra devient la Vierge Marie) ou regardé des adaptations de mythes en dessin animé : par exemple, le très drôle Midas – the Golden Touch de Disney ou l’émouvant Thought Of You, de Ryan Woodward, qui me rappelle Orphée et Eurydice (click and enjoy!). Sans oublier les très kitsch et fabuleuses séries de Sam Raimi, Hercules et Xéna la Princesse Guerrière (je commence toujours mes cours avec un cri de guerre)!

Allez voir cette magnifique exposition au Musée d'Orsay!

Allez voir cette magnifique exposition au Musée d’Orsay!

désirs et volupté

Et celle-ci aussi!

Les remarques des enfants se révèlent stimulantes et perspicaces, souvent très espiègles.

Différents mythes grecs racontent la naissance de l’humanité, mais celui qui a le plus soulevé de questions auprès des enfants reste l’histoire tragique de Prométhée, Épiméthée et Pandore, où l’homme apparaît bien fragile et démuni, si ce n’est pour l’étincelle d’intelligence divine et le feu sacré volé aux Immortels qui illuminent son destin obscur… et il n’est pas toujours facile d’apporter des réponses satisfaisantes à des interrogations de ce genre, surtout lorsque des yeux avides de connaissance vous dardent et vous défient :

« Mais pourquoi les dieux ont-ils permis à l’humanité d’avoir des enfants, si elle était si fragile? » – « C’est en créant la femme, que Zeus rendit l’homme plus fort? », « Pourquoi l’homme doit-il souffrir? »

Difficile, très difficile d’accepter que l’homme soit une créature fragile, nue et en proie aux caprices du destin et de dieux insouciants :

« Même si l’homme est fragile et nu, même s’il n’a pas de griffes ou de crocs pour se défendre, il a l’intelligence et le feu pour vaincre les ténèbres de la nuit et de l’ignorance, et même s’il doit souffrir et mourir, la vie vaut toujours la peine d’être vécue, aux mieux de nos possibilités. Parfois, nous pouvons même allez au-delà de la mort, comme Orphée. Et ce n’est pas magnifique, d’arriver si loin, en partant de si peu? Regardez ce que l’homme peut faire aujourd’hui! »

Leurs yeux se sont illuminés : « Alors, nous aussi, nous pouvons devenir des dieux? »

La suite au prochain épisode.

En attendant, si vous avez un peu de temps, les contes et légendes se mettent en scène dans les Hauts-de-Seine pour le mois d’octobre! Je vous y attendrai pour discuter de mythologie et bien d’autres choses!

Qu’Athéna soit avec vous!

Oyez, oyez! Venez voir les troubadours dans les Hauts-de-Seine!

Oyez, oyez! Venez voir les troubadours dans les Hauts-de-Seine!

Intervention 3 : Les deux séances

Séance 1 :
Date : mercredi 26 septembre 2012
Lieu : Alliance française, La Paz, Bolivie
Niveau : 1e et 2ème années de français
Nombre d’élèves : 28
Durée : 1h30
Mythe raconté : l’histoire de Dédale
Nombre d’histoires récoltées : 8

Séance 2 :
Date : jeudi 27 septembre 2012
Lieu : Alliance française, La Paz, Bolivie
Niveau : 3e et 4e années de français
Nombre d’élèves : entre 15 et 20
Durée : 1h30
Mythe raconté : la fondation de Rome
Nombre d’histoires récoltées : 6

Il y a trois semaines, nous avons réussi à prendre contact avec l’Alliance française de La Paz : très rapidement, nous nous sommes mis d’accord sur deux dates, mercredi et jeudi, pour intervenir avec deux groupes différents. La rapidité de leur réaction et leur intérêt nous ont beaucoup touchées. Le groupe de mercredi était composé de trois classes de débutants (les élèves avaient environ 12 / 13 ans), tandis que jeudi, nous travaillions avec des élèves plus avancés en français, et donc plus âgés. À l’origine, le projet ne vise pas des ados, mais cela a été très intéressant de voir de quelle manière nous pouvions nous adapter à ce nouveau public.

Prenons les choses dans l’ordre : la séance de mercredi, avec nos 28 élèves en début d’apprentissage du français. Au premier abord, ceux-ci nous paraissent beaucoup plus timides que les élèves de Paraná. Moins dissipés, pour sûr, mais plus difficiles à faire parler ! Enfin, heureusement pour nous, les langues se sont peu à peu déliées. Nous avons fait le choix de présenter la séance en français (en étant prêtes à passer à l’espagnol si besoin – ce qui n’a pas eu lieu), et ils m’ont eu l’air d’avoir bien compris notre introduction et la portée de cette « leçon ». En revanche, cela a été un peu moins facile pour suivre le mythe : nous avions choisi l’histoire complète de Dédale, qui se poursuit bien après la mort d’Icare. Nous l’avions adaptée de façon à ce qu’ils puissent comprendre l’intrigue, mais nous nous sommes rendues compte sur le fait que la fin n’était pas si aisée à intégrer, avec le défi lancé par Minos, et le duel entre les rois de Sicile et de Crête. Mais nous pouvions compter sur le dessin et sur les talents de conteuse et de mime d’Erika, et finalement, nous nous en sommes sorties.
Nous avons tenté d’entamer une discussion afin de savoir ce qu’ils avaient compris, s’ils avaient des questions ou si l’histoire leur avait plu, mais nos questions sont restées en suspend : ils étaient encore un peu intimidés ! Un des professeurs nous a d’ailleurs à cette occasion donné quelques conseils (plus que bienvenus, afin d’améliorer nos interventions), que nous suivront sûrement à l’avenir face à un tel groupe : nous arrêter au cours du récit pour vérifier que les élèves comprennent bien l’avancée de l’histoire ; les faire discuter en petits groupes avant de les faire participer à haute voix pour qu’ils aient plus confiance … Nous nous en souviendrons !
Enfin, quand ce fut à leur tour de participer, nous avons dû faire face à encore quelques petites réticences, mais le travail en groupe à motiver les plus timides ! Petit à petit, chaque groupe a trouvé le récit qu’il souhaitait raconter, et même s’est finalement mis à l’illustrer (sur le tableau parfois). La plupart d’entre eux se sont appliqués à le rédiger en français (avec l’aide de leur professeur … Ils se cachaient quand nous nous approchions !). Puis chaque groupe est finalement passé face à la classe, à la suite d’une jeune fille qui nous a raconté une belle histoire qu’elle tenait de sa famille. Nous avons entendu un grand nombre d’histoires locales (beaucoup plus qu’en Argentine), que nous partagerons dans un autre article, promis !

Quant à la séance de jeudi, nous ne savions pas vraiment comment l’appréhender : le groupe était plus avancé en français, certes, mais aussi plus âgé. Ils avaient jusqu’à 15 ans. Nous avons ainsi eu moins de problème de compréhension, mais il était plus difficile de les intéresser. À 15 ans, on ne pense pas particulièrement aux contes et légendes, non ? Et effectivement, la dynamique était bien différente. Mais là encore, après un bon moment de silence (encore plus long que la veille), tous se sont prêtés au jeu, et ont finalement participé avec entrain.
Nous avions choisi le mythe de la fondation de Rome, pour l’intérêt historique qu’il présente, mais aussi pour la beauté du récit. Nous avons répondu à quelques petites questions, toujours timides, avant qu’ils ne se mettent en groupes et partagent avec nous leurs récits, en français. Nous avons eu 2 versions d’une histoire intitulé « la Croix Verte », et une nouvelle version de la légende du pont de Potosi, que nous avions entendue la veille. C’est très intéressant d’entendre deux groupes raconter la même histoire, car finalement, chacun le restitue de manière personnelle. Là encore, dans un prochain article, nous les diffuserons ici, avec les quelques dessins récoltés : certaines histoires nous ont paru vraiment inédites, tandis que d’autres ressemblent à des récits que nous connaissons. Vous verrez !

À très bientôt, pour les divers récits, et sûrement un compte rendu de la fin de nos pérégrinations en Bolivie (ah oui, là, on est à Cuzco, Pérou !) !

Intervention 1 : conclusions

Lors de cette première intervention, plusieurs questions se sont posées à nous, et quelques réflexions sont de rigueur ici.

Tout d’abord, j’avais fini par vraiment douter sur le choix du mythe que nous avions décidé de raconter lors de cette séance. Il est vrai que c’est une très belle histoire, mais si triste. Et plus l’heure de le raconter approchait, plus je me disais qu’elle n’était peut-être pas faite pour des enfants d’une dizaine d’années : la portée du mythe ne me semblait plus si aisément abordable. Mais après réflexion, je me suis rendue compte que nous avions choisi de partager ce récit pour de bonnes raisons, et que, oui, les enfants avaient la maturité nécessaire pour l’apprécier et le comprendre. J’ai tout de même préféré rajouter quelques lignes à la fin du mythe tel qu’Erika l’avait initialement écrit : le mythe se terminait sur « Hélas, l’ombre de la jeune femme n’avait qu’un pied hors du seuil des Enfers : elle se dissout devant lui, comme un rêve au matin, tendant la main pour un dernier adieu. », ce qui me paraissait un peu abrupt ; Il nous a semblé préférable d’exprimer la « moralité » de manière plus explicite, d’où la fin que vous pouvez lire ici.

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Intervention 1 : Orphée et Eurydice

Comme promis, le mythe que nous avons raconté aux CM2, écrit par Erika, et illustré par Erika et Janyce. Bientôt, j’espère, la vidéo !

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l était une fois un merveilleux musicien du nom d’ Orphée. Il était le fils du roi de Thrace, Éagre, et de la muse Calliope. Ce fut Apollon, le dieu de la lumière et de la poésie, qui lui fit don d’une lyre en or, tandis que les Muses lui apprirent à en jouer.

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Lucrèce, De la nature, et archaïsmes.

Petite pause au milieu des articles consacrés à notre voyage, avant de découvrir les vastes étendues que nous parcourrons en Asie et en Afrique. Je dois vous avouer, je n’ai pas encore eu le temps de préparer les cartes !

En attendant, je voudrais vous rappeler que l’association que nous avons créée en Janvier dernier n’a pas pour unique objectif ce projet et ce voyage, mais plus largement d’assurer la promotion des études classiques et de la recherche dans les différents domaines touchant à l’Antiquité. La fin de notre Master de Lettres Classiques (Linguistique latine pour moi, Etruscologie pour Erika) approche à grands pas, et Andrew, de l’autre côté de l’Atlantique, obtiendra dans quelques semaines son B.A., majeure « Classics ».

Donc, je voulais vous faire savoir que je mets librement à votre disposition, si le sujet vous intéresse ou vous semble utile, mon travail de première année de Master (celui de cette année n’est pas tout à fait terminé … la soutenance est en Juin !), dont le thème était l’étude des archaïsmes dans le livre III du De Rerum Natura de Lucrèce. Vous pouvez trouver la table des matières ici, et si vous souhaitez lire l’étude complète, il vous suffit de nous contacter par mail : thethreeballadeers[@]gmail.com
Je vous l’enverrai avec plaisir !

Dans quelques jours, préparez-vous à découvrir le Cambodge avec nous !

Une histoire de poisson.

Connaissez-vous l’histoire d’Amias, le berger fougueux qui fut métamorphosé en poisson ? Peu d’auteurs la relatent … Mais comme on est sympa, nous vous la raconterons ici aujourd’hui.

Amias était un jeune berger béotien, qui, tous les jours, conduisait ses troupeaux dans les vastes clairières aux abords du Céphise, le long fleuve qui traversait sa ville natale, Parapotamies. Laissant ses moutons paître tranquillement, Amias passait ses journées à rêvasser, compter les nuages, jouer des airs champêtres sur la petite flûte de bois qu’il avait façonnée avec application. Bref, il s’ennuyait un peu, quand même … Un matin de printemps, il remarqua qu’un petit agneau s’était éloigné de sa mère, et avait disparu dans les fourrées. Alors Amias partit à sa recherche. Il ne pouvait être bien loin, il était si jeune encore ! Il espérait que quelque bête sauvage ne l’avait pas trouvé avant lui : son père serait furieux s’il apprenait qu’un petit avait été dévoré par un loup sous sa garde. Il le trouva rapidement, au détour d’un chemin, sur la rive sablonneuse du fleuve. L’animal paraissait un peu étonné face à la puissance du cours d’eau. Amias allait le récupérer quand une vision l’arrêta net, et le fit reculer de nouveau sous le couvert des arbres. A quelques pas de là, une superbe jeune fille se baignait dans l’eau claire et fraîche du fleuve. C’était Thalakomé, la plus jeune fille de Céphise, la plus belle aussi (motif récurrent s’il en est), qui faisait ses ablutions sous le chaud soleil matinal. Amias ne pouvait plus la quitter des yeux tant sa beauté rayonnante l’éblouissait. N’écoutant que son désir, et perdant par la même occasion toute sa raison, le berger bondit hors de sa cachette, et se précipita en direction de la Naïade. Celle-ci, effrayée par l’irruption soudaine du jeune homme, s’enfuit vers la rive opposée. Les eaux de son père (oui, bon, c’est quand même bizarre cette histoire : elle pourrait se laver dans la rivière voisine !) la portait au devant de son poursuivant. Mais il était vigoureux et déterminé, et nageait si rapidement qu’il fut sur le point d’attraper un de ses petits pieds blancs. Voyant cela, elle appela son père :

« Père, père, fais quelque chose d’utile, mince ! Il va m’attraper ! »

Immédiatement, Céphise réagit : personne ne touchera à ses filles, non mais oh ! Et soudain, Amias sentit son corps se rapetisser et s’aplatir, ses jambes se souder l’une à l’autre, ses bras devenir fins et transparents, son agilité dans l’eau augmenter, et surtout, sa capacité à respirer à l’air libre disparaître. Le fleuve venait de le transformer en truite. Alors il plongea, et entendit Céphise se moquer :

« Amias, tu voulais avoir Thalakomé, et bien, maintenant, tu vivras dans les eaux de son père. Au moins, comme ça, je t’aurai toujours à l’oeil ! »

Ainsi, depuis ce jour, une nouvelle espèce de poisson peupla le fleuve béotien, et parfois encore, on peut voir une truite bondir hors de l’eau … Enfin, surtout le matin, quand il fait beau.

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« Si tu ne sais pas d’où tu viens, tu seras toujours un enfant »

D’après Cicéron ; comme le rappelle cet article du Monde du 9 février, « En renonçant aux humanités classiques, la France renonce à son influence » :

Est-ce que la France serait devenue suicidaire ? En quelques mois, plusieurs sentences sans appel sont tombées, sans qu’on sache vraiment qui est à la manoeuvre : suppression de la culture générale à l’entrée de Sciences Po ; invention, digne des Monty Python, d’un concours de recrutement de professeurs de lettres classiques sans latin ni grec ; disparition de l’enseignement de l’histoire-géographie pour les terminales scientifiques…

Autant de tirs violents, sans semonce, contre la culture et contre la place qu’elle doit occuper dans les cerveaux de nos enfants et des adultes qu’ils seront un jour. Une place qu’on lui conteste aujourd’hui au nom du pragmatisme qu’impose la mondialisation. Mais quel pragmatisme, au moment où, partout dans le monde, de la Chine aux Etats-Unis, l’accent est mis sur la culture et la diversité de l’éducation, le fameux soft power ?

En bannissant des écoles, petites ou grandes, les noms mêmes de Voltaire et de Stendhal, d’Aristote et de Cicéron, en cessant de transmettre le souvenir de civilisations qui ont inventé les mots « politique », « économie », mais aussi cette magnifique idée qu’est la citoyenneté, bref, en coupant nos enfants des meilleures sources du passé, ces « visionnaires » ne seraient-ils pas en train de compromettre notre avenir ? …

Suite de l’article

Cet article exprime très bien ce que je ressens et crains quant au choix des études que je fais. L’objectif de notre projet et la raison même de l’existence de notre association sont bien de protéger ce savoir et ces traditions que nous considérons indispensables à la construction du monde actuel. J’espére que notre entreprise, d’une manière ou d’une autre, nous aidera à nous rendre compte de l’importance de conserver et d’étudier ces cultures anciennes si riches !